dimanche 12 décembre 2010

votre attention s'il vous plait!

Quand j'étais petite, j'avais un super pouvoir. Je pouvais me rendre invisible, transparente. C'était vraiment un pouvoir interessant.Je pouvais m'assoir prés des adultes et les écouter sans qu'ils remarquent ma présence. Si par hasard j'étais moins transparente que d'habitude, je pouvais disparaitre un peu plus en posant ma tete sur mes bras, sur une table, ou en sucant mon pouce. En général cela fonctionnait sans probleme. J'étais lá incognito.
J'ai appris beaucoup de choses en espionnant les adultes de cette façon. Les choses dont ils parlaient entraient dans ma tete ou je les classais par sujet, par ordre d'importance, dans l'éspoir de pouvoir m'en resservir plus tard, quand je serais assez grande pour participer.
Il m'arrivait de temps en temps de tester, pour voir si le moment était enfin venu. Je ressortais alors un morceau de conversation ou une phrase entendue ici ou lá, mais les regards des adultes dans ces moments la me montraient que je m'étais trompée. J'étais encore trop jeune pour dire ce genre de choses.
Bien souvent, peu apres, je surprenais des conversations qui me confirmaient mon impression: elle a l'air de ne rien entendre comme ca, mais elle enregistre faut pas croire! elle ne parle pas mais elle est trés fine! elle est trés intelligente mine de rien!
bon. Ce n'est pas encore le moment. Il faut etre adulte pour pouvoir parler sans se faire remarquer, peut etre dans quelques années.
Parfois etre transparente ne suffisait plus. Il fallait faire disparaitre le monde. C'était assez simple: il suffisait de prendre un livre et le monde n'existait plus. Dans les livres, je pouvais épier des millions de conversations, voler des millions de phrases, sans que personne ne se tourne vers moi.
C'était magique.
Peu a peu, mon corps grandissait. Le moment de participer aux conversations allait arriver. Mais curieusement, lorsque j'essayais, je ne passais toujours pas inapercue. Au college on me traitait de "snob". Aparemment mes mots étaient trop longs. Mes phrases trop formelles. La plupart des choses que je disais passaient au dessus de la tete de mes pairs. Il fallait donner des définitions, expliquer une expression, c'était fatiguant. Je savais que le moment n'était pas encore venu. Ils ne me comprenaient pas, parcequ'ils étaient encore trop jeunes. Les adultes souvent me comprenaient deja mieux. J'avais le choix: ne fréquenter que des adultes jusqu'á ce que mes pairs soient adultes eux memes, ou essayer de parler comme eux. J'ai essayé de parler jeune, mais c'était trés fatiguant. Souvent cela sonnait faux á leurs oreilles. je continuai de préferer la compagnie des adultes, qui comprenaient au moins le sens des mots que j'employais.

Puis je suis officiellement devenue physiquement adulte.Pourtant j'étais toujours invisible.Cela n'avait plus aucun interet, je ne dépendais plus de personne, je voulais etre prise au serieux par mes pairs a present.
Mais j'étais transparente. La dame du guichet parle a la personne derriere moi. Elle ne me voit pas. Ma présence est trop faible.
Les adultes parlent á table,et je sais que j'ai l'age de participer á la conversation, j'en ai officiellement le droit á présent. mais je m'aperçois vite que c'est plus qu'un droit. C'est un devoir. Meme si je n'ai rien a dire sur un sujet, si je n'en ai entendu parler dans aucun livre , Mon Avis m'est demandé.
J'essaie de redevenir invisible. Ca marche encore,alors j'écoute les conversations. j'ai déja entendu tout ca. Ce n'est pas une conversation nouvelle, je l'ai entendue a 5 ans, a 11 ans et une autre fois a 13. Il n'y a rien a dire lá dessus que des gens de 50 ans n'aient pas déja entendu, si moi je connais la conversation par coeur. je tente une phrase toute faite: surprise. ils hochent la tete, ils approuvent, ils enchainent. Pourquoi? Ce n'est meme pas une idée nouvelle. Je me désinteresse. Je m'interroge en les écoutant: ou sont passés les adultes qui disaient des choses nouvelles? Peut etre des adultes plus agés auront ils plus de sujets de conversation? J'écoute des grand meres parler du temps qu'il fait , de leurs petits enfants, et m'aperçois que non. personne n'a plus rien de nouveau a dire, toutes ces conversations ont dejá eu lieu.
Je redeviens invisible pour de bon. Il parait que je suis timide. On essaie de me forcer a participer en me regardant droit dans les yeux, je répond automatiquement, esperant que cela tombe juste dans la conversation, puis je n'en peux plus. Ils sont assis a table et font avec leur bouche un bruit infernal qui ne signifie plus rien. Ils répetent des conversations parfois vieilles de 20 ans.
Pourquoi? je ne trouve rien pour justifier ça.
Je me leve , et je vais regarder les enfants qui jouent. Je suis invisible pour eux aussi, alors je joue avec eux et prend forme. Ils ne répetent pas de conversation, ils ne sont pas encore des petits perroquets. Ce qu'ils disent á un sens, pour eux.Les mots ont encore une signification.
J'entend les adultes, ils parlent de moi, tout bas. "elle est timide". Je suis timide? je ne suis pas timide. ce qu'ils disent ne signifie rien, n'a pas de valeur.
j'ai un super pouvoir. je suis invisible.

1 commentaire:

  1. C'est saisissant cette vision des choses... J'ai vécu ça toute mon enfance, entendre et comprendre ce que disent les adultes, mais ne jamais être "autorisée" à parler... Et aujourd'hui, les conversations d'adultes m'ennuie... Invisible... c'est le bon mot. Moi aussi je préfère aller trouver les enfants. Je me rappelle encore le réveillon du 31 décembre. Nous étions pourtant en famille... mais c'était trop, toujours les mêmes sujets, et je ne veux plus intervenir car mon avis diffère trop du leur et ça me fatigue de toujours devoir m'expliquer ou me justifier... alors je suis partie dans le salon avec les enfants. Nous avons joué à la DS toute la soirée, on a passé une soirée inoubliable à rire comme des fous, à se bidonner... avec les enfants je suis vraie, c'est tellement plus simple... quel bonheur !

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